Quand j’ai vu le tout nouveau Président de la République remonter les Champs-Elysées dans un véhicule militaire, lors de son investiture, j’ai commencé à me méfier : on allait entrer dans une phase de militarisation de la société symbolisée par la transfiguration du Président en seigneur de guerre.

Puis le malaise s’est confirmé : prolongation de l’état d’urgence mis en place en 2015 (projet affiché de faire de l’exception, la règle) nomination d’un ministre des armées, et non de la défense (priorité à la technocratie sur le projet), primauté de la puissance militaire (dissuasion) dans les relations interétatiques, subordination de la population aux valeurs militaires à travers l’instauration du service national universel, banalisation des rapports hiérarchisés, de la course aux armements dont la production serait garante de prospérité économique...

Vendre 80 avions Rafales, 12 hélicoptères de combats et de missiles pour une valeur de 17 milliards aux Emirats Arabes Unis, quel succès politique et économique ! Quel cadeau de Noël !

Que ces Emirats et l’Arabie Saoudite aient déjà utilisé des armes françaises dans la guerre du Yémen (377 000 victimes) et provoqué un désastre humanitaire, que cet accord prévoie une coopération militaire avec un régime qui bafoue les droits humains, viole le droit international et finance le terrorisme, relève du cynisme. Assurer que ces ventes d’armes garantissent le rayonnement et la compétitivité de la France alors qu’elles donnent de la France l’image d’un pays sans foi ni loi, relève d’un mépris total pour les limites morales de la realpolitik.

Dans le même temps, Amnesty International dénonce dans quatorze pays de l’UE, dont la France, une avalanche de lois sécuritaires en contradiction avec les principes fondamentaux de la liberté et des droits humains : « L’idée selon laquelle le rôle du gouvernement est d’assurer la sécurité afin que la population puisse jouir de ses droits, a laissé la place à l’idée que les gouvernements doivent restreindre les droits pour assurer la sécurité » (ONGI).

Et suprême malaise, le coup de pied de l’âne dont on se serait bien passé : le versement d’une subvention de 35 000 € de la Ville de Paris à la Ligue de l’Enseignement pour l’organisation d’un projet de découverte du porte-avions Charles De Gaulle au profit des écoles élémentaires parisiennes.

Quand on vous parlait de militarisation rampante, vous êtes convaincus maintenant ?

Anne-Marie Kervern, l’Orange Bleue, n° 127