Pour beaucoup d’entre nous, les religions sont à la source, directement ou indirectement, de la très grande majorité des conflits qui ont eu lieu ou qui ont lieu aujourd’hui. Même les bouddhistes s’y mettent dans leur guerre contre les Rohingyas musulmans. Pourtant, au moins les 3 religions du Livre, (les religions chrétienne, juive et musulmane), ont en commun un même commandement : "Tu ne tueras pas". Comment se fait-il que les fidèles de ces religions continuent à se massacrer allègrement ?

Dans le livre d’entretiens avec le sociologue Dominique Wolton, "Politique et société", publié le 6 septembre 2017 en France (Éditions de l’Observatoire), c’est une prise de position du pape, nette, catégorique et sans appel qui voudrait changer le cours de l’histoire : "Aucune guerre n’est juste."

Il s’agit bien d’une rupture avec la doctrine de la guerre juste énoncée par St Augustin au Vème siècle et par Thomas d’Aquin au XIIIème siècle. Cette doctrine énonce plusieurs critères pour qu’une guerre soit déclarée juste.

Le recours à ces critères est aujourd’hui contesté par de nombreux théologiens en raison des capacités de plus en plus puissantes des armes modernes qui peuvent détruire l’humanité entière et des preuves de l’efficacité des campagnes non-violentes pour répondre à des agressions injustes. Mais aussi parce que nombre de religieux et de fidèles ont justifié toutes les guerres, que ce soit les Croisades, les guerres de religions, les guerres coloniales et néocoloniales. Et parfois même, la guerre était justifiée des deux côtés par les clercs d’une même religion.

Pourtant la prise de position de ce pape ne date pas de cette année.

En septembre 2014 à Anvers (Belgique), dans son message pour l’ouverture de la rencontre annuelle de Sant’Egidio, il avait affirmé : " La guerre n’est jamais nécessaire, ni inévitable".

Le 20 septembre 2016 sur le parvis de la basilique Saint-François, à Assise il avait dit : "Ne nous lassons pas de répéter que jamais le nom de Dieu ne peut justifier la violence. Seule la paix est sainte, pas la guerre !". Et l’appel final de la rencontre interreligieuse insiste : " Non à la guerre ! Que le cri de douleur de tant d’innocents ne reste pas inécouté. (…) Qu’augmente l’engagement concret pour éliminer les causes sous-jacentes aux conflits : les situations de pauvreté, d’injustice et d’inégalité, l’exploitation et le mépris de la vie humaine".

Dans le livre d’entretiens avec Dominique Wolton il insiste : "Je n’aime pas l’utiliser [NDLR : Le terme de ’guerre juste’]. On entend dire : ’Moi, je fais la guerre parce que je n’ai pas d’autre possibilité pour me défendre.’ Mais aucune guerre n’est juste. La seule chose juste, c’est la paix."

Le Pape François n’est pas seul dans ce combat pour la Paix.

Un colloque sur la non-violence s’est tenu à Rome du 11 au 13 avril 2016, soutenu par le Saint-Siège. Parmi les buts de la conférence, une "nouvelle formulation de la doctrine catholique de la guerre et de la paix, incluant le rejet du discours sur la guerre juste". Pax Christi International a demandé au pape une encyclique sur le sujet et proposé que soit remis en discussion la notion de "guerre juste".

Réunie en congrès au début du mois d’août 2017, la Conférence des supérieurs majeurs de congrégations masculines des États-Unis appelle le pape François à écrire une encyclique sur la non-violence. Dans la cinquième résolution spécifique de leur communiqué, celle qui s’intitule "délégitimer la guerre", les religieux américains remettent implicitement en question la doctrine de la guerre juste et appellent à "cesser de justifier la guerre."Ils continuent :"Ainsi nous sommes résolus à répondre concrètement à l’appel de Vatican II pour mettre la guerre” hors-la-loi” [NDLR : cf. Gaudium et spes, ch. 82 « Vers l’absolue proscription de la guerre »] et à soutenir les efforts internationaux similaires.

Ces discours ont une portée essentiellement symbolique, certes. Mais on peut espérer au vu de l’aura dont bénéficie un Pape, qu’ils peuvent exercer une grande influence morale au delà même de la communauté catholique.

Aujourd’hui, la diplomatie vaticane se caractérise très souvent par un discours d’apaisement et une stratégie de résolution pacifique des conflits. On peut s’en féliciter.

Fanch Hénaff

Paru dans l’Orange Bleue, n° 106, octobre 2017