Dans un ouvrage autobiographique en deux parties « Contes bretons » suivi de « L’enfant et la guerre »* J.M.G. Le Clézio nous fait vivre ses premières années dans l’arrière pays niçois, éloigné de son père d’origine Mauricienne , (citoyen britannique à l’ époque ) à qui un officier français avait refusé le laisser-passer en représaille au sabordage de Mers-el- Kébir.

Il était donc bien trop petit (né en avril 1940) pour mettre des mots sur ses sentiments mais le traumatisme fut tel qu’il se souvient de la faim, de cette atmosphère oppressante car l’ennemi (Allemands et Italiens) rôdait partout les obligeant à se confiner, et du fracas d’une bombe sur le port de Nice.

Ce témoignage très fort et livré dans toute sa simplicité, sa sincérité et son émotion, ne peut que nous toucher. Quelques passages m’ont particulièrement interpellée :

« D’avoir eu faim, d’avoir ressenti la peur et le vide durant les premières années de ma vie, ne m’a pas endurci. Mais cela m’a rendu violent. Sans doute est-ce le sort de tous les enfants nés au milieu d’une guerre. Non pas qu’ils voient des scènes de crime, de mort, de rapine, mais ils perçoivent de façon instinctive que les règles de la société n’existent plus, qu’il n’y a plus de douceur ni de partage, et qu’il existe quelque part, au-dehors, dans les rues désertes, derrière les façades bombardées, dans les terrains vagues piégés, une autre race d’homme puissante et dangereuse ».

Il finit par une critique acerbe de l’Europe par rapport à l’Afrique où sa famille va vivre après guerre : « Mais la différence, c’est que nous, nous venons de l’Europe ancienne, la région la plus développée du monde, qui n’a utilisé son progrès technique que pour produire des armes de mort. C’est l’Afrique qui va nous civiliser... ».

Ce récit nous amène à penser à tous ces jeunes enfants des pays en guerre depuis si longtemps, qui n’ont connu que cette horreur sans nom et à qui on a volé leur insouciance : petits Syriens, Afghans, Palestiniens, Yéménites, Ivoiriens... Il faudrait des armées de psychologues pour leur permettre d’évacuer cette souffrance qui ne peut s’exprimer par des mots. Rappelons que la Convention Internationale des Droits de l’Enfant votée dans le cadre des Nations Unis, a fêté ses trente ans le 20 novembre 2019. Dans son préambule, il est déclaré, entre autres : « Considérant qu’il importe de préparer pleinement l’enfant à avoir une vie individuelle dans la société, et de l’élever dans l’esprit des idéaux proclamés dans la Charte des Nations Unies, et en particulier dans un esprit de paix, de dignité, de tolérance, de liberté, d’égalité et de solidarité ». Ne faudrait-il pas rappeler sans cesse cette belle déclaration qui semble avoir été oubliée par de nombreux pays qui l’ont pourtant signée ?

(*) J. M. G. Le Clézio, Chanson bretonne suivi de L’enfant et la guerre. Deux contes. Gallimard, 154 p.,

Soazic Quéré, l’Orange Bleue, n°123