Rapport Stora sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie : une autre réaction

L’Orange Bleue a publié le regard positif de Jean Miossec pour son association 4ACG, Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami(e)s Contre la Guerre. Conforme à l’objectif de 4ACG, il en tire une réflexion sur la stratégie de paix par des liens d’amitié entre les peuples français et algérien. Pragmatique, concret, optimiste, Jean Miossec nous donne à penser qu’un avenir est possible si nous, citoyen.nes, nous saisissons les passerelles proposées pour agir. Il faut l’en remercier et se souvenir avec Aimé Césaire que l’éthique est quelquefois de « faire un pas, un autre pas, encore un autre pas et tenir gagné chaque pas ».

Mais alors, pourquoi ce malaise malgré les nombreuses propositions pertinentes du rapport Stora ?

Il y a, à l’origine, le rétropédalage du Président Macron. De la colonisation déclarée « crime contre l’humanité », il aboutit à une commande édulcorée visant la « réconciliation » entre les peuples français et algérien, mettant ainsi sur un pied d’égalité spoliateurs et spoliés. La mission fait de l’historien un conseiller du Prince dans un contexte où il importe de séduire un électorat conservateur !

Les mots choisis ont un sens politique : le refus de « repentance » de l’Elysée (qui la réclame ?), mot de l’extrême-droite contre la recherche de vérité, contre la reconnaissance de responsabilité, contre toute demande de réparation. La répétition des mots « exaction », « répression » (fût-elle « sanglante ») euphémise les crimes de la conquête coloniale qui sont structurels et non des dérives. Ils occultent la dimension systémique des violences qui en découle.

Et puis il y a la séquence réduite à la guerre d’Algérie : elle permet le silence sur les enfumades des Ouled-Riah, ou la loi Warnier (1873) destinée à désagréger les structures de la société et de l’économie (une « vivisection sociale » selon Bourdieu), les famines, les exterminations et déportations de populations, le code de l’indigénat, faillite de la République...Des chiffres manquent comme ceux des disparitions massives.

Quant aux soldats, Kabyles de la tribu des Zwava (les zouaves), tirailleurs, spahis, goumiers et méharistes sahariens, chair à canon inépuisable engagée massivement dans les deux guerres mondiales et gratifiée de pensions inférieures de moitié à celles des autres combattants : ils méritaient mieux. Enfin, puisqu’il importe de bien nommer les choses, concernant les Harkis, parlons clairement de trahison.

Il y a hypocrisie à traiter les mémoires divergentes de manière équivalente. Mais reconnaître les faits, faire prévaloir la vérité historique, faire la lumière sur les essais nucléaires et les disparus, faire droit à la réparation...oui, faisons-le car les jeunes héritiers de cette histoire en ont besoin pour vivre leur citoyenneté.

Anne-Marie Kervern, l’Orange Bleue, n°124

Lien pour prendre connaissance du rapport : https://www.vie-publique.fr/rapport/278186-rapport-stora-memoire-sur-la-colonisation-et-la-guerre-dalgerie