Le dernier plan de 50 milliards d’économie budgétaire annoncé par Bercy a mis le monde de la Défense en émoi. A en croire ses plus hauts responsables politiques (1) et de l’état major, notre système de défense ne tiendrait qu’à un fil. Un seul milliard
de crédit en moins et tout l’édifice s’écroule ! Et chacun d’évoquer les pénuries criantes dont souffrent déjà nos armées, certaines remettant même directement en cause la sécurité de nos soldats en opération, ce qui est évidemment inacceptable.

Sans nier les manques des armées, cette analyse qui occulte le budget dévolu à la dissuasion nucléaire – et pour cause puisqu’il est sanctuarisé ! est exagérément alarmiste. Comme l’ont fait remarquer nos amis J.M.Collin et P.Bouveret lors de
leur audition devant la commission de la Défense Nationale (2), il y a là des marges de manœuvres.

Ainsi, plus d’un milliard d’euro sont chaque année affectés à la modernisation de notre arme nucléaire (LFI 2014, programme 402) et ceci au mépris de nos engagements de désarmement (article 6 du traité de non prolifération nucléaire TNP que nous avons signé en 1992). Dans cette enveloppe, pas moins de 530 millions sont en 2014 crédités pour le développement d’une troisième version du M51 (M51.3), alors même que le M51 première version vient à peine d’entrer en service (seuls
deux SNLE en sont à ce jour équipés). Plus de 500 millions sur plusieurs années, tout ça pour un missile plus performant, de plus grande précision nous assure t’on,
est ce vraiment raisonnable ? Au regard de l’ampleur et de l’étendu des dégâts
provoqués par l’explosion d’une bombe nucléaire, la précision à ce niveau a t’elle
encore un sens ?

Autre économie possible, les 300 millions allant chaque année à l’entretien d’une composante aéroportée de notre dissuasion de plus en plus contestée. Voilà plusieurs années que les anglais ont abandonné la leur, qu’attendons-nous
pour les imiter ?
Et puis, pour se placer sur le terrain des stratèges, la théorie du coup de semonce avant déclenchement du feu nucléaire de nos M51 avancée par ses partisans pour en justifier le maintien ne risque-t-elle pas d’être interprétée par l’ennemi comme un
aveu de faiblesse, de manque de détermination à user de notre force de dissuasion ?

Finalement entre dépenses de modernisation de l’arme nucléaire et d’entretien de la force aérienne stratégique (FAS), cela fait plus d’un milliard et demi que l’on pourrait soustraire au budget de la dissuasion, une partie d’ailleurs pouvant être réaffectée au financement des missions conventionnelles de nos forces armées. Gageons que les industriels de la défense, aux marges confortables, qui aujourd’hui poussent des cris d’orfraie (3), accusant l’Etat de les étrangler s’il réduit ne serait-ce que d’un milliard le budget de défense, s’en remettraient, et qu’avant de mettre à exécution leur menace de délocalisation ils regarderaient à deux fois où sont réellement leurs intérêts.

La question de la dissuasion nucléaire et de son financement nous concerne tous. Brisons le tabou consistant à en faire un domaine réservé du chef de l’Etat. Si nous voulons avancer sur la voie du désarmement nucléaire il nous faut commencer par désanctuariser la bombe.

Roland de Penanros

1 - Voir notamment l’interview de Patricia Adam du 23 mai dernier (www.meretmarine.com)
2 - http://www.assembleenationale.fr/14/crcdef/1314/c1314050.asp#P9_393
3 - Lettre du 15 mai adressée par les PDG de sept groupes industriels de défense au président de la République