Tribune de Bernard Norlain*

Les imprécations nucléaires proférées par le chef du Kremlin et ses séides pour dissuader les démocraties occidentales de soutenir l’Ukraine ont eu le résultat paradoxal de renverser notre concept de « dissuasion » nucléaire et de faire des dissuadeurs des dissuadés. Nous étions censés dissuader tout agresseur, garantir une sécurité absolue et rendre la guerre nucléaire inconcevable grâce à notre force de frappe. Voilà que la guerre nucléaire devient possible et que terrifiés à juste titre par cette possibilité, nous renonçons à invoquer notre capacité à résister au chantage nucléaire de peur d’une escalade nucléaire incontrôlable.
En réalité, l’arme nucléaire révèle son vrai visage, celui d’être l’arme des prédateurs. Une arme non pas défensive, mais offensive, non pas de dissuasion mais de persuasion et d’emploi potentiel. Elle permet l’agression tout en dissuadant les recours extérieurs. Notre puissance nucléaire nous condamne à l’impuissance stratégique.
Nous voilà piégés par notre propre volonté de puissance. Faire un choix absurde entre le renoncement ou le suicide collectif.

*Bernard Norlain, général d’armée aérienne, a occupé les fonctions de Chef du Cabinet militaire des Premiers ministres Jacques Chirac et Michel Rocard. Sa tribune est parue dans la « Newletter de l’hiver 2003 » d’Initiative pour le Désarmement Nucléaire (IDN), association dont il assure la présidence depuis le décès en 2021 de Paul Quilès, ancien ministre des armées .