Ecologie, COP 26, Sécurité humaine et Paix

Trentième anniversaire de l’Université Européenne de la Paix

Brest, du 6 au 8 octobre 2021

Il faudrait sans doute plusieurs jours pour traiter d’un sujet aussi vaste que les relations entre conflits et guerres, environnement et crise climatique… Nous nous contenterons d’évoquer seulement certains aspects, en insistant plus sur les plus méconnus.

Les crises environnementales facteur d’extension et d’aggravation des insécurités

Tout le monde comprend bien que les crises environnementales créent de l’insécurité et peuvent contribuer à des conflits violents. Le Département de la défense américain (DOD),parle ainsi par exemple de Climate Driven Conflict et, dans un rapport de 2007 « Age of consequences », plusieurs stratèges et militaires américains y voyaient les menaces principales pour la sécurité des Etats Unis et du monde1.

Insécurité générale du fait des conséquences sociales, économiques, politiques de ces crises : sécheresses, inondations, cyclones, montées des océans, pollutions, menaces sur l’agriculture avec l’effondrement de la biodiversité, etc.

Du fait de l’exacerbation des conflits pour l’appropriation des ressources : certes cela a toujours été facteur de conflits (guerres pour le pétrole par exemple), mais la situation actuelle accentue le phénomène. En particulier concernant l’eau, dont la raréfaction constitue un puissant facteur de déstabilisation en Afrique sahélienne, au Proche Orient (Nil, Jourdain, Tigre et Euphrate…) et déjà cause de tensions dans les bassins du Gange/Brahmapoutre ou du Mékong. Mais aussi le phénomène d’accaparement de terres agricoles (en Afrique pour les besoins occidentaux, chinois, indiens, saoudiens…), et la classique concurrence « extractiviste » pour les matières premières (et aujourd’hui notamment le cuivre, le lithium et les terres rares).

Enfin évidemment avec les mouvements de populations provoqués par les crises environnementales. Il y avait déjà 50 millions de « réfugiés climatiques » selon l’ONU en 2010. Un récent rapport britannique2 estime que le changement climatique pourrait provoquer un déplacement de 1,5 milliard de personnes dans les cinquante prochaines années, même si les objectifs de réduction des gaz à effet de serre prévus par la COP21étaient atteints !

On s’inquiète fortement dans les états-majors de cette situation. Un International Military Council for Climate Security formé d’experts militaires de divers pays, produit des rapports alarmistes (le dernier en juin 2021) et le secrétaire général de l’OTAN a souligné, lors du dernier sommet de cette alliance en avril 2021 que la crise climatique signifiait « un monde très dangereux ».

Protéger le monde ou adapter le militaire

La réaction de ces états-majors est d’abord… de se protéger. Le Pentagone (qui n’a jamais été climatosceptique, contrairement à Trump), s’est emparé du sujet dès les années 2007-2008, quand il a pris conscience que sur les 800 installations militaires US dans le monde, 60 très importantes allaient être menacées de submersion !. Cette préoccupation est devenue permanente, et de nos jours l’armée américaine a un programme d’Update Individual Bases Resiliency Plan (mise à jour annuelle de la sécurité des bases), dont Joe Biden vient de doubler le budget en mai 2021 (pour prendre en compte notamment le risque des incendies géants). Inutile de dire qu’il n’existe pas de budget équivalent pour les hôpitaux, les écoles et autres infrastructures civiles.

Et tous les états-majors du monde sont inquiets de la mise en cause de leurs « capacités d’interventions » et en tirent argument pour demander des budgets supplémentaires.

De plus en plus de responsables s’interrogent sur l’opérationnalité des armées. On prête au général James Mattis, chef des Marines en Irak, plus tard Secrétaire à la défense de Donald Trump (viré en janvier 2019), la phrase less fuel, more fight, (moins de carburant, plus de combat), constatant les consommations absolument ahurissantes des armées modernes et de l’armée US en particulier, et l’administration Obama a proposé d’être « un peu plus sobre » : une guerre « verte » ?. La culture des grandes armées et des fabricants d’armes lourdes est de considérer qu’on peut consommer du carburant sans compter… et l’on ne modifie pas du jour au lendemain des systèmes où les avions de chasse brûlent des milliers de litres de kérozène à l’heure, et doivent être ravitaillés après quelques dizaines de minutes en vol (pour ne parler que de l’aviation). Et les solutions envisagées (agrocarburants, propulsions nucléaires) sont tout sauf écologiques Il est vrai que rien n’incitait les militaires et les industriels de la vingtaine de pays qui produisent et utilisent l’énorme majorité des armes de la planète à la sobriété. . Or pendant ce temps-là d’autres types d’armes, par nature moins gourmandes apparaissent -même si leurs empreintes restent importantes, (cyberguerre, drones).

Prendre en compte les émissions de gaz à effet de serre d’origine militaires

En 1976 une convention de l’ONU, dite ENMOD, interdisait aux Etats parties de modifier l’environnement à des fins hostiles. Toutes les grandes puissances ont signé sauf une (la France, en plein essais nucléaires dans le Pacifique), et puis toutes se sont empressées d’oublier - la signature de la France en 2015 avant la COP21 aurait permis de relancer la dynamique écoresponsable, de préciser les conditions d’application et de suivi de la convention, mais il n’en a jamais été question, et personne, parmi les forces politiques et mouvements associatifs en France à l’époque, n’a jugé bon d’en parler. Pourtant dans plusieurs conflits récents, on a constaté des « actions hostiles » avec impacts environnementaux catastrophiques, sans que les belligérants ne se souviennent qu’ils se l’étaient interdit…

Entre temps le monde s’était pourtant enfin préoccupé d’environnement avec la signature du Protocole de Kyoto en 1997… Sauf que l’administration américaine, Clinton à l’époque, a demandé que soient explicitement exclues des calculs d’émissions de gaz à effet de serre par pays, celles pouvant être dues à des activités militaires. Bien entendu les autres puissances militaristes (dont la France) ont trouvé l’idée excellente.

L’outil de l’ONU pour suivre la situation (le GIEC), n’a donc pas été chercher de ce côté-là. Cependant l’accord de Paris de 2015, suite à la COP21, n’a pas repris la restriction de Kyoto… Que croyez-vous qu’il arriva ? Rien… Il est vrai qu’il n’y a pas eu de mobilisation pour faire cesser ce scandale.

De quoi parle-t-on ? Il n’est pas très facile d’évaluer ces émissions, mais les observateurs compétents (comme le SIPRI suédois) estiment par exemple que, si les activité aériennes militaires représentent quelques 4% de l’ensemble des vols de la planète, elles consomment près de 15% des combustibles ! Ces émissions sont celles, directes, des armées, en campagne ou non, mais aussi celles indirectes des industries d’armement. Les premières ne sont pas faciles à mesurer, toutefois une lecture attentive des budgets (qui est faite par exemple par certains parlementaires américains pour ce qui les concerne, mais qui n’est pas faite, et de toute manière très difficile à faire en France), mais aussi par les renseignements fournis par les constructeurs ( d’avions, de véhicules terrestres, de navires, etc.), facilement accessibles ou comparables. Il est plus difficile d’évaluer l’industrie. En effet, outre des données lacunaires, les plus grand industriels de l’armement ont des activités « mixtes » (militaires, civiles, civilo-militaires). Qui a remarqué que le plus important constructeur d’armement européen est d’abord une entreprise de l’aéronautique civile (Airbus) ?

Résistances, COP26 et luttes pour la sécurité humaine

Le sujet de l’empreinte carbone des activités militaires commence pourtant à être évoqué. Des militants américains épluchent ainsi le budget du Département de la défense des Etats Unis pour évaluer les émissions directes… Il faut saluer la publication récente Sous le Radar par le groupe de la Gauche Unitaire (GUE/NGL) au Parlement européen, réalisée par des militants et chercheurs britanniques 3. Une tentative d’évaluation des émissions militaires directes (activités des armées) et autant que faire ce peut indirectes (industries d’armement) dans 6 pays européens. Les auteurs évaluent à près de 25 MtCo2 annuelles (les Millions de tonnes d’équivalent-carbone, la mesure du GIEC) les émissions directes de l’Union européenne, la consommation annuelle de 17 millions de voitures, et pour les six pays étudiés :

Pays Emissions MtCo2 % budget militaire dans l’Union Européenne
France 8,38 25.5%
Allemagne 4,53 21,9%
Italie 2,13 13,6%
Pays Bas 1.25 5,6%
Espagne 2,79 6,3%
Pologne ? 5,0%

Ces chercheurs ont par ailleurs étudié la situation britannique dont les émissions sont légèrement supérieures à celle de la France.

Ils vont mettre en place un suivi permanent de leurs recherches sur le site militaryemissions.org en appui à une campagne de mouvements mobilisés sur le sujet à l’occasion de la COP26 à Glasgow en novembre 2021. Un appel international a été signé par des centaines d’organisations du Royaume Uni et du monde4 ? De nombreux mouvements, syndicats, associations d’Ecosse en ont fait un axe majeur de campagne avec une mobilisation spécifique le 4 novembre. Nick Buxton, du Tansnational Institute a publié un rapport fondamental sur les dangers de la militarisation de la crise climatique5.

Le système productiviste et de recherche forcenée du profit produit à l’échelle de la planète une véritable « guerre à la terre ». La paix, ce n’est pas seulement mettre fin aux conflits violents, la prévention des guerres futures menaçantes (y compris entre puissances, et avec risque nucléaire), l’action contre la militarisation et la course aux armements. C’est agir pour lé sécurité humaine, ce principe mis en avant par le PNUD (le programme de développement de l’ONU) en 1996 et si actuel en cette période ou s’additionnent crises sanitaire, désastre écologique et montés des tensions. Ce n’est pas simplement l’absence de guerre entre Etats, c’est la sécurité pour les humains, face aux menaces : économique, alimentaire, sanitaire, environnementale, communautaire, politique et personnelle.

Bernard Dreano
Centre d’études et d’initiatives de solidarité internationale CEDETIM
et Assemblée européenne des citoyens (AEC HCA-France)