Comment en finir avec les logiques de guerre ?

Tirer les enseignements du conflit en Ukraine

Ces deuxièmes journées d’étude de l’UEP se sont tenues les 11 et 12 octobre derniers à la Maison de l’International. Elles ont été suivies par une assistance studieuse d’une trentaine de participant-es. Les interventions des experts invités et les débats qui les ont suivies ont permis à chacun-e d’enrichir sa compréhension des logiques à l’oeuvre dans les conflits et des moyens de les contrer pour aller vers un monde durablement en paix.

Bien naturellement les massacres perpétrés quatre jours plus tôt par le Hamas en Israël étaient dans tous les esprits ; ils ont marqué une partie des débats. Ci-dessous vous trouverez de brefs résumés des interventions de nos invités et, en conclusion, une synthèse des réflexions suscitées par le nouvel embrasement du Proche Orient.


Le droit au service des peuples

Monique Chemillier-Gendreau, professeure émérite de droit public et de sciences politiques, nous explique pourquoi la guerre en Ukraine est un révélateur de la crise aiguë du droit international.

Elle pointe les manquements au droit international : violation de la Charte de l’ONU et des engagements envers l’Ukraine sur l’intégrité territoriale, agression sans fondement justificatif, preuves récurrentes de crimes de guerre... En parallèle, elle liste les actions de l’ONU restées lettres mortes : Conseil de sécurité de l’ONU paralysé (droit de veto de la Russie), condamnation de l’AG de l’ONU sans unanimité, sanctions collectives bloquées, suspension de la Russie du Conseil des droits de l’homme, mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale contre Poutine...

Les causes de cette paralysie ? La nature contractuelle de ce droit (les traités n’engagent que les Etats signataires) et les limites structurelles (souveraineté des Etats, absence de tiers impartial, statut privilégié des cinq membres du conseil de sécurité, discrédit de l’Otan...).

Conclusion : la paix est dans une société juste et bonne . Il nous faut penser une nouvelle organisation des peuples débarrassée de la souveraineté comme norme.


Refaire le Monde ?

« Chaque génération se croit vouée à refaire le monde , la mienne sait qu’elle ne le fera pas mais sa tâche ...empêcher que le monde ne se défasse »

C’est par cette citation d’Albert Camus que Ben Cramer a tenu a ouvrir son intervention.
Pour lui, s’intéresser à la paix nécessite de s’intéresser à la guerre, à la vie, à la mort.
La fascination pour la guerre n’est pas seulement économique ni rationnelle, elle se nourrit aussi d’autres mobiles plus psychologiques, passionnels, naturels…
Il est nécessaire de faire croire à des menaces, les rendre le plus crédible possible pour justifier la survenue de conflits.
A propos du SNU, l’intervenant suggère un service dédié à la prévention des catastrophes alimentaires, climatiques et à la promotion de la sécurité humaine.
L’enseignement de la paix est très compliqué en France, il ne peut se faire que par des entrées qui parlent aux gens : l’écologie, le développement durable, la gestion des sous-sols, le domaine maritime…
Au niveau de l’Union Européenne il considère affligeant l’absence de discours sur la militarisation alors que l’obtention du Prix Nobel de la Paix obtenu en 2012 la rend légitime pour faire entendre sa voix.


Pourquoi et comment aider la résistance ukrainienne ?

Tel était le propos développé par Bernard Dréano, co-président du RESU (Réseau Européen de Solidarité avec l’Ukraine).

L’Ukraine est l’Irlande de l’empire russe déclarait déjà Lénine en 1917. Difficile pour l’empire de renoncer à sa conquête de l’époque tsariste. Là est la principale raison de la guerre qu’il mène en Ukraine.

A la différence de son agresseur, l’Ukraine est toujours une démocratie. Le peuple ukrainien s’est levé en masse pour recouvrer l’intégralité de son territoire. Le cessez-le-feu aujourd’hui, lui est inconcevable. Il conduirait à une solution à la coréenne avec des déplacés à l’Est et le risque d’un gouvernement d’extrême droite à l’Ouest.
Il faut aller vers une fin de la guerre acceptable des deux côtés, avec une relative réconciliation entre les protagonistes et la mise en place d’un réel système de sécurité en Europe.

Le soutien du mouvement pacifiste européen à la résistance ukrainienne est insuffisant. Il reste en grande partie déclamatoire, sans réelle efficacité. Pourquoi si peu de manifestations contre l’agresseur ? Il doit plus s’appuyer sur les mouvements progressistes ukrainiens et les réseaux féministes et anti-guerre russes. Il y a là tout un espace de démocratie, une base solide pour rétablir la paix, une paix durable car dégagée de toute violence structurelle.


Faire reculer la puissance dans l’action et dans la pensée politique

Jacques Fath

La puissance, la force et la sécurité nationale forment un trio stratégique pervers aujourd’hui dominant. En contradiction totale avec les principes et les buts de la Charte des Nations Unies.

Cette puissance est en même temps impuissance : impuissance des politiques mises en œuvre, et des règles du système devant l’acuité et la dimension existentielle des défis planétaires issus de ces mêmes politiques.

La puissance n’est pas exclusivement liée au capitalisme. Mais celui-ci a ouvert l’histoire à ce que l’on appelle la montée aux extrêmes, les guerres totales, les armements non conventionnels, dont le nucléaire.

L’idée selon laquelle la guerre serait une fatalité de l’histoire et un invariant de la nature humaine accompagne en permanence la pression idéologique au « réarmement des esprits ».

Il faut aujourd’hui franchir un cap éthique et politique : délégitimer la pensée de la guerre comme fatalité, faire prévaloir la primauté de la responsabilité collective, de l’égalité des droits et du droit international.

Les problèmes du monde sont les problèmes de tout le monde. La sécurité collective et le multilatéralisme devraient s’imposer comme paradigme fondamental d’un nouvel ordre international.


Economie de la sécurité internationale et guerre économique

Jacques Fontanel

Les dépenses militaires sont plus importantes dans les pays où il existe un fort complexe militaro-industriel ou dans lesquels les gouvernements expriment une volonté de puissance politico-militaire. Les augmentations des budgets militaires sont parfois utilisées à des fin industrielles entretenant une course à la domination.
Les dépenses militaires constituent un indicateur imparfait de la sécurité nationale d’un pays. La dépendance aux produits stratégiques venus de l’extérieur et les consommations intermédiaires des produits essentiels de production d’armes, la nature des armes, la stratégie de défense, l’autonomie nationale exercent un rôle important.

La guerre de l’information favorise toujours ceux qui disposent des moyens de diffusion adéquat : contrôler les forces démocratiques par une information sélective.

Dans le monde entier, les intérêts financiers avec les GAFAM ou les gestionnaires d’actifs comme BlackRock qui gère des fonds d’investissement 3 fois plus élevés que le PIB de la France, ce sont en fait les grandes puissances privées qui décident des politiques de l’état sur la base du lobbying ou de l’entrisme au service de leur seul intérêt individuel. La guerre économique proprement dite conduit à la course aux armements, à la punition internationale. Le système économique crée des inégalités profondes, croissantes, qui ne peuvent être remises en cause que par des révolutions, des guerres.


La dissuasion nucléaire en question

Jean-Marie Collin d’ICAN FRANCE (Campagne Internationale pour l’Abolition des Armes Nucléaires) entame son intervention en citant la métaphore de l’Horloge de l’Apocalypse qui est au jourd’hui avancée à minuit moins 90 secondes, jamais aussi proche de l’heure fatidique depuis sa création en 1945. Cette horloge fictive évalue les possibilités d’une guerre nucléaire mondiale que matérialise en Ukraine le face à face des deux principales forces Etats Unis - Russie.

Par son budget militaire consacré au nucléaire, la France contribue à accentuer ce climat d’insécurité et montre ainsi sa volonté de pérenniser l’arsenal nucléaire en décidant la construction de 4 nouveux sous-marins nucléaires lanceurs d’engin.

A cela s’ajoute l’échec des traités : la 10ème conférence d’examen du Traité de Non Prolifération s’est achevée sans adopter de document final faute de consensus.

La Russie menace de se retirer du Traité d’Interdiction Complète des Essais Nucléaires avec en arrière pensée la volonté de montrer sa capacité à utiliser son armement.
Une note d’optimisme : le Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires ratifié déjà par 69 états voit sa position se renforcer par l’apport de nouvelles signatures ; la Suisse où le sujet est en discussion au Conseil Fédéral, l’Australie qui tout en affirmant sa position d’état observateur subit des pressions parlementaires pour la ratification du traité , de même pour l’Allemagne.


L’Orange Bleue, numéro 135