DEBAT L’ONU ET LA PAIX, INTERVENTION DE MONIQUE CHEMILLIER GENDREAU
Pour marquer le 75ème anniversaire de la charte des Nations Unies, l’Université Européenne de la Paix organisait le 13 octobre dernier un débat public sur ce thème. A cette occasion la Ville nous avait ouvert son grand salon d’honneur, donnant ainsi un lustre particulier à notre manifestation.
Bravant les craintes et les contraintes du moment, une soixantaine de personnes ont suivi avec attention les interventions de nos deux invités, les professeurs Bertrand Badie et Monique Chemillier Gendreau, tous deux grands spécialistes des relations internationales.
(n.b : l’intégral de l’intervention de Madame Chemillier Gendreau est consultable dans le document joint à cet article)
Intervention de Monique-Chemillier-Gendreau
Professeur émérite de droit public et sciences politiques
Concernant le bilan de l’activité de l’ONU depuis 75 ans, M.C.G. porte un jugement très sévère . À ses yeux plusieurs éléments justifient cette sévérité : L’hégémonie du Conseil de Sécurité , sa défaillance dans le contrôle de l’armement, la condamnation trop tardive du colonialisme et la faiblesse du droit international.
Concernant le premier point, « le ver était dans le fruit » à l’origine de sa création. L’impuissance actuelle des nations unies à assurer le maintien de la paix a sa source dans les arrières pensées des grandes puissances au moment où elles ont créé l’organisation. Les vainqueurs de 1945 ( USA , URSS, Chine ,Grande Bretagne , France ) ont fait en sorte de conserver la position hégémonique que leur avait donné la victoire. Ils se sont octroyés une position prééminente et définitive : celle de membres permanents du Conseil de sécurité avec un droit de veto pour chacun. Désormais l’organe principal du maintien de la paix dans le monde est de caractère aristocratique, les principaux membres n’étant jamais renouvelés et disposant chacun d’un pouvoir énorme de blocage conduisant à l’impuissance. Ce Conseil de sécurité aurait dû disposer pour son efficacité des forces armées nécessaires pour une éventuelle intervention dans les conflits, mais au nom de la souveraineté nationale cela ne s’est pas fait.
Sur le second point : il était évident que le souci de maintien de la paix supposait une réduction considérable des armements et le contrôle de ceux-ci. Cette préoccupation se traduisait par la rédaction de l’article 26 garantissant un système de réglementation des armements par lequel on ne doit détourner vers ceux-ci que le minimum des ressources humaines et économiques du monde. Aujourd’hui les armements n’ont cessé de se développer qu’ils soient classiques ou nucléaires : les membres permanents du Conseil de Sécurité venant très largement en tête du palmarès.
Sur le colonialisme, il faudra attendre 15 ans pour qu’il soit condamné par une résolution de l’A.G. des Nations Unies de 1960. Par contre rien n’est fait pour assurer le développement de ces pays ni avant ni après leur indépendance. La soif des intérêts capitalistes a été la plus forte notamment dans la recherche de matières premières et particulièrement du pétrole . À cela s’ajoute la faiblesse du droit international qui aurait dû pacifier les relations entre états et développer les droits humains.
Pour notre conférencière on peut donc conclure que les Nations Unies n’ont pas favorisé une évolution du monde menant les sociétés vers plus de liberté et de développement durable.
Elle devait aborder par la suite les perspectives qui s’offrent à l’ONU. La réforme de l’organisation s’avère une nécessité vitale. Malheureusement usant de leur droit de veto les membres permanents verrouillent tout désir d’éventuels changements émanant des 188 autres pays. Le monde a changé, maintenir l’ONU est une obligation tant qu’il n’y a pas d’autres modèles, mais quelles que soient les nouvelles formes, le désarmement devra être repensé à nouveaux frais.
Beaucoup persistent à penser que l’on peut réformer le système de l’intérieur. Malheureusement, celui-ci pour l’intervenante n’est pas réformable.
Même si tout n’est pas à condamner en bloc dans l’action de l’ONU, nous devons commencer à penser une autre organisation du monde basée sur la justice, le primat de la volonté des peuples sur la souveraineté des états et un désarmement effectif généralisé. Une autre organisation pour une autre séquence historique.
Monique- Chemillier- Gendreau terminait par cette formule d’espoir :
Utopie tout cela direz-vous. Oui . Nous devons assumer l’utopie, non comme un rêve impossible, mais comme un but qui n’a pas encore été atteint et qu’il nous revient de rendre possible.
L’Orange Bleue, n° 121