C’est dans sa maison de la Forest-Landerneau, prés des rives de l’Elorn que l’auteur bien connu nous a ouvert ses portes. Nous avons pu ainsi dialoguer sans filtre avec Kris, homme passionné et passionnant, artiste engagé et qui assume sans difficulté son positionnement dans le monde de la BD et de l’édition.

L’OB : Comment peut-on te présenter : scénariste, écrivain, militant ?

Kris : à 95% scénariste avec un statut d’auteur. Si d’autres projets se présentent je les regarde et s’ils m’intéressent je m’en saisis. J’écris des scénarios pour des adaptations au cinéma ou pour la télévision. C’est le cas pour « Un homme est mort » et d’autres sont en projet. J’ai des sollicitations pour des interventions auprès de jeunes publics et je suis invité dans des festivals. En 2009, l’année de France-Russie, une vingtaine d’écrivains et romanciers ont été conviés à traverser la Russie à bord du Transsibérien. Pour la première fois un auteur de BD été invité et c’est tombé sur moi. Chacun devait écrire un recueil de nouvelles, ça a été mon cas et j’ai été édité. Je l’ai pris pour une forme de reconnaissance . Au début la Bande Dessinée était très cloisonnée, elle était pour les adolescents attardés, la littérature ignorait la BD. Grâce à la BD documentaire inspirée de faits réels et de quelques ouvrages fondateurs dont « Un homme est mort » ce secteur a explosé.

L’OB : Justement scénariste dans le domaine de la BD, précisément c’est quoi ?

Kris : Le scénariste invente l’histoire, réunit les éléments, écrit les dialogues avec une grammaire propre, organise la mise en scène, découpe « case par case », définit l’angle de vue, décrit l’ambiance, prend soin à la valeur narrative. Il doit être très précis dans ce qu’il veut. Il laisse aussi une certaine liberté au dessinateur qui peut ainsi proposer des modifications, des arrangements puis ils s’accordent sur un « story board ».
Mais la part belle est souvent laissée au dessinateur. D’ailleurs les seuls primés dans les festivals sont les auteurs complets comme c’est le cas à Angoulême par exemple. Le monde de la BD est fait de passionnés, très solidaires, il est chouette à vivre même s’il manque de soutiens publics. Au début les auteurs paraissaient essentiellement dans les journaux, ils avaient souvent un statut de journalistes avec une carte de presse. Maintenant nous sommes reconnus avec en contrepartie un statut plus aléatoire d’auteurs, c’est plus difficile à vivre.

L’OB : Comment se font les choix des thèmes que tu retiens ?

Kris : Il faut que je me sente légitime à écrire l’histoire. Cette légitimité je la puise souvent dans mon vécu personnel ou dans mes passions pour l’histoire.
Pour « Un homme est mort », cette histoire qui s’est déroulée à Brest , c’est mon grand-père acteur des luttes sociales du début des années 50 qui me l’a expliquée. C’est en quelque sorte un outil militant.
« Un maillot pour l’Algérie » je la dois à ma passion pour le foot en particulier la coupe du monde 82, la première dans mes souvenirs. Cette année-là, les algériens ont battu la grande équipe d’Allemagne déjouant tous les pronostics. Plus tard j’ai pu voir un documentaire sur la première équipe constituée dans un but politique dont l’objectif était de concourir à la construction de l’identité algérienne.
« Notre mère la guerre » est née de la lecture d’un livre de témoignage, « le Caporal Barthas » soldat du rang, profondément croyant, socialiste, toujours en première ligne, il vomit la guerre. Dégradé puis rétabli dans son grade pour encadrer des jeunes
en difficulté parce que c’est toujours ces catégories que l’on envoie au feu les premiers.

L’OB : Mais pourquoi avoir choisi de traiter cette guerre ?

Kris : J’ai eu la chance de connaître un arrière-grand-père qui a su m’en parler et puis cette guerre un peu oubliée a ressurgi à la fin des années 90 pour nous en rappeler les horreurs.

L’OB :Tu interviens souvent auprès des enfants dans les collèges, une vraie motivation ?

Kris : C’est au moment de la sortie de « Un homme est mort » que j’ai reçu les premières sollicitations. Je me suis rendu compte que mes écrits rencontraient complètement les programmes d’histoire des 4ème et 3ème, pour un passionné d’histoire c’est très intéressant. Les BD sont de formidables outils pédagogiques. Pour les enfants je deviens un conteur, j’utilise aussi les planches de dessins, des photos. Cela m’a permis de retrouver un de ces professeurs qui ont développé mon goût pour l’histoire. Ce fut un moment très émouvant
Mais j’interviens aussi dans les prisons, une quinzaine à ce jour, à Brest, Amiens, Marseille…Ces rencontres sont devenues très importantes, c’est moi qui vais vers eux et non l’inverse.

Au travers de ses BD par les sujets qu’elles traitent, Kris fait œuvre d’éducation et nous porte à réfléchir sur la violence, les conflits armés. Pour lui l’espèce humaine varie entre amour, rire, guerre et aspiration à la Paix

L’Orange Bleue, n° 122