Intervention de Bertrand Badie
professeur émérite des universités à Sciences Po-Paris et politologue

Le 20ème siècle a consacré le multilatéralisme qui se définit comme un mode d’organisation des relations inter-étatiques.

À l’origine de ce concept qui a donné naissance à la Société des Nations 2 hommes : Woodrow Wilson aux USA et Léon Bourgeois en France. Selon cette perspective, les institutions internationales sont soumises aux États, parce qu’elles n’existent que par la volonté de ceux-ci.

L’Organisation des Nations unies a été créée largement grâce à l’initiative américaine. Les 51 membres fondateurs appartenaient aux vieilles nations d’extraction européenne. En 1945 il s’agissait de refonder les institutions internationales afin d’assurer la sécurité par l’équilibre de la force entre États. Il fallait éradiquer la possibilité d’une 3ème guerre mondiale : d’où équilibre de la terreur (par l’arme nucléaire).

Roosevelt a mis le ver dans le fruit en faisant en sorte que l’ONU ne puisse porter atteinte à la souveraineté des vainqueurs de la guerre 39-45. Il s’agit de la légalisation de la puissance avec le droit de dire non par le droit de veto octroyé aux 5 membres permanents du Conseil de Sécurité. Ceux-ci sont donc au-dessus des règles de l’institution.

La décolonisation aurait pu permettre de rééquilibrer le système "onusien". Mais les 5 membres permanents ont renforcé les pouvoirs du Conseil de Sécurité pour continuer leur règne hégémonique en négligeant le travail de l’Assemblée Générale.
En 1989 il aurait encore été possible d’améliorer le fonctionnement de l’ONU après la chute du mur de Berlin. Encore une occasion perdue.

Et pourtant certains secrétaire-généraux ont essayé de remuer l’institution. C’est le cas de Kofi Annan, secrétaire-général de l’ONU de 1997 à 2006, prix Nobel de la Paix en 2001. Kumi Naidoo, secrétaire général d’Amnesty International disait de lui :

"Kofi Annan ne manquait pas une occasion de nous rappeler le Préambule de la Charte de l’ONU, qui commence par ces mots : « Nous, peuples des Nations unies » – les peuples, pas les États-nations ni les gouvernements. L’ONU était au service des peuples, et c’était pour lui un principe premier."

Le Président de la République française assistait aux funérailles de Johnny Halliday.

Pas un seul représentant français aux funérailles de Kofi Annan en 2018 !!

Aucune réforme n’a été faite pour donner aux pays du sud un rôle plus important. Les non-alignés n’ont eu comme solution que de mener une "diplomatie contestataire" : comme la réunion de ces pays à Belgrade en 1961, au Caire en 1964, à Alger en 1973, à Téhéran en 2012, et au Vénézuela en 2016.

Les agences de l’ONU, comme l’OMS, l’OIT, l’UNICEF, l’UNESCO, font un travail intéressant avec pour objectif de passer de la sécurité des états à la sécurité des personnes et par suite au développement humain. Mais les questions sociales sont ignorées : par exemple pas de position par rapport au Covid 19 à cause de la connivence entre les USA et la Chine. Il n’y a pas de réflexion sur les causes des problèmes sociétaux et le financement de toutes ces agences est l’objet de chantage de la part des grandes puissances.

Après 75 ans d’existence, le constat est simple : le droit international est une discipline qui n’existe pas, l’ONU aurait dû l’élaborer et le mettre en œuvre. Chacun joue sa partition. Même la Cour Internationale de Justice ne peut pas remplir son rôle : la Grande-Bretagne est le seul membre permanent du Conseil de Sécurité ayant reconnu cette institution.