Conférence de Ben Cramer

« Nous, peuples des Nations unies, résolus

à préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l’espace d’une vie humaine a infligé à l’humanité d’indicibles souffrances,

à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites,

à créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international,

à favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande

On ne peut qu’applaudir.

Et pourtant….le contenu de la Charte ne suffit pas. Il mérite d’être actualisé.
Alain Joxe, l’un de mes maîtres à penser, avait coutume de dire que l’ONU est en panne de paix. Ce n’est pas politiquement correct, mais ce n’est pas faux. Au même titre que les pacifistes qui sont en panne d’idées nouvelles pour délégitimer les armes nucléaires. Au même titre que les supporters de l’atome qui considèrent que leur catéchisme ne doit pas être partagé. Ces derniers se cherchent une nouvelle issue, dons de nouvelles cibles potentielles, quitte à revendiquer l’utilité de la bombe pour assumer des fonctions environnementales. Ainsi, le recours aux munitions nucléaires serait prisé, non pas pour prendre en otage des peuples terrorisés, mais pour permettre d’assurer des missions plus insolites, plus populaires, plus acceptables. Parmi elles : larguer une bombe atomique dans l’œil du cyclone, en vue de le neutraliser, (suggestion de Trump lors de la tempête Dorian) ou pour détourner des météorites. Comme si nous nous étions enfin résolus à admettre que nous pouvons être pulvérisés et détruits par d’autres moyens que les armes auxquels se fient les militaires.
 
S’il te plaît, dessine-moi la paix
Il n’est pas facile d’afficher la paix, même ici, à une époque où de nouveaux spectres hantent l’Europe…Il nous faut décliner la paix autrement, car les hostilités sont autres et ne se réparent pas avec des cessez-le-feu. Et la paix ne vient pas comme miracle avec la fin des hostilités, et saurait s’épanouir en l’absence de guerre. Nous avons eu suffisamment de temps pour expérimenter cette dure réalité. Nous avons saisi que la paix est un processus de transformation sociale. La paix, c’est aussi la RSE (Responsablité Sociale et Environnementale des entreprises) à 360 degrés. N’en déplaise à des économistes comme Piketty qui sont capables de pondre des pages de science économique en zappant complètement le secteur militaire dans son dernier ouvrage.

C’est aussi un processus qu’on peut appréhender dans sa dimension écologique car le désarmement est à l’armement ce que la réduction du gaspillage est aux apôtres de la croissance qui se fient aux énergies fossiles. (cf. les thèses de Denis de Rougemont). Bref, revoir en profondeur la consommation/destruction improductive des êtres et des richesses qui est tout sauf durable. 

A partir de cet éventail, la paix peut se décliner sous toutes ses facettes et sans qu’il faille la revêtir de son plus simple appareil (qu’apprécieront les juristes) d’absence de guerre. Elle mérite bien mieux, au regard de tout ce qui se fait en son nom ! Il nous faut concevoir la paix de façon dynamique et multiple, en tant que produit (direct ou indirect) de la transformation d’un conflit armé.

Si l’on se réfère à la Charte de l’ONU (op citée) et à ses auteurs, ils ont eu plein de mérites au lendemain des horreurs de 39-45 avec ses 70 millions de morts. Mais ce constat ne nous interdit pas de rappeler que la dimension écologique de la sécurité fut alors carrément occultée. Peut-être ne se doutait pas alors (en 45 !) que des désastres écologiques ou climatiques pouvaient conduire à la guerre. Du moins, ceci n’a pas fait l’objet d’une attention particulière (…) La ‘géopolitique verte’ tatonne, se cherche, elle n’a pas encore reçu ses lettres de noblesse. Cette discipline n’est enseignée nulle part, tout comme l’alchimie ou l’astrologie il y a quelques siècles. Wikipédia ne lui consacre même pas un chapitre.
 
Les militaires dépassés

Si nous avions un peu d’honnêteté pour nous regarder en face, la non-diffusion de l’implication des militaires dans le chamboulement climatique est aussi le fruit de notre indifférence, du moins d’une majorité de la population. Pas la peine de toujours accabler la ‘Grande Muette’ pour nous donner bonne conscience ! Les militaires, quant à eux, se recyclent à leur rythme : le Pentagone a été à l’avant-garde et grâce à lui, la marine (U.S. Navy) a disposé jusqu’à récemment d’un Task Force Climate Change pour préparer l’élite de la Royale à se confronter à l’élévation du niveau des mers, aux changements de température des océans.

Nous apprenons petit à petit et sans toujours convaincre le commun des mortels que militer pour une réduction des gaz à effet de serre des forces armées constitue un moyen de s’engager en faveur de la paix. Certes, ce n’est pas évident. Mais enfin, le moment est venu de comprendre que la défense n’est plus ce qu’elle était. Alors que le monde militaire a été confiné dans son pré-carré depuis la disparition du service militaire, alors qu’il tente de s’infiltrer dans la société civile via l’enseignement et une stratégie de marketing qui fait de l’ombre à ‘Pôle Emploi’, la défense de notre planète n’est plus une affaire qui incombe aux militaires et à eux seuls. Ceci se vérifie partout. La ministre équatorienne de la défense expliquait (de passage à Paris en novembre 2013) « Nous sommes en train de travailler sur une nouvelle façon de considérer la défense comme un bien public. C’est une responsabilité de la société civile et pas seulement des forces armées, ». « L’un de nos principes » déclara-t-elle , consiste à « considérer la souveraineté au-delà de la protection physique et administrative du territoire, mais comme le droit et le devoir du peuple équatorien de prendre ses affaires en mains, en rapport avec l’intérêt commun et le bien commun ». Bref, « notre défense c’est aussi le concept de la souveraineté, de l’autodétermination, et cela implique notre souveraineté à la fois sur les plans alimentaire, énergétique, écologique ». (Maria Fernanda Espinosa, 5 novembre 2013). Elle a ensuite dirigé la délégation équatorienne lors de la COP21, avant d’être élue le 5 juin 2018 présidente de l’Assemblée générale de l’ONU.

Ainsi, plutôt que de nous contenter de commémorer de vieilles batailles, plutôt que de se fier à nos rétroviseurs, regardons vers l’avenir. Y compris l’avenir d’Ile Longue lorsque la Marine, pour des motifs qui nous dépassent, aura déserté la zone et restitué ces terres à ceux et celles qui l’habitaient avant les années 60.
 
Ben Cramer
Brest, 21 septembre 2019