Au cœur de l’été, alors que la guerre faisait rage à Gaza et en Syrie, deux textes ont circulé pointant l’illusion du rétablissement d’une paix durable dans la région par le recours aux armes et proposant des voies non violentes de résolution des conflits.
L’un de ces textes (dont nous ne publions que des extraits) est un appel de Desmond Tutu au boycott d’Israël. Fort de l’expérience du boycott infligé à son pays pour qu’il renonce à l’apartheid, le prix Nobel de la Paix exhorte la communauté internationale à mener ce combat non violent qui selon lui, plus que toute autre action, est susceptible de forcer l’Etat d’Israël à accepter une issue politique au conflit qui l’oppose à la Palestine.
L’autre texte est un interview de 2010 de l’ancien patriarche de Jérusalem qui nous renvoie à nos propres responsabilités d’occidentaux dans le déchaînement des violences qui sont devenues le lot commun de la plupart des pays de la région. Le choc des civilisations n’est qu’un mythe, la guerre au monde musulman serait une erreur criminelle. C’est par l’éducation à la citoyenneté, au respect de l’autre, de sa culture que l’on pourra rétablir durablement la confiance et la paix. Tel est son message, un message qui quatre ans après n’a rien perdu de son actualité ni de sa pertinence.

R. De Penanros
L’Orange Bleue, numéro 92

Ma prière au peuple d’Israël : Libérez-vous en libérant la Palestine (extraits)

L’archevêque émérite Desmond Tutu, dans un article exclusif pour le journal Haaretz, appelle à un boycott mondial d’Israël et demande aux Israéliens et aux Palestiniens de réfléchir au delà de leurs dirigeants à une solution durable à la crise en Terre Sainte.

...La violence engendre la violence et la haine, qui à son tour ne fait qu’engendrer plus de violence et de haine. Nous, Sud-Africains, connaissons la violence et la haine. Nous savons ce que cela signifie d’être les oubliés du monde, quand personne ne veut comprendre ou même écouter ce que nous exprimons. Cela fait partie de nos racines et de notre vécu.
Mais nous savons aussi ce que le dialogue entre nos dirigeants a permis, quand des organisations qu’on accusait de "terroristes" furent à nouveau autorisées, et que leurs meneurs, parmi lesquels Nelson Mandela, furent libérés de prison ou de l’exil...
...Mais ce qui au final a poussé ces dirigeants à se réunir autour de la table des négociations a été la panoplie de moyens efficaces et non-violents qui avaient été mis en oeuvre pour isoler l’Afrique du Sud sur les plans économique, académique, culturel et psychologique...L’embargo sur le commerce infligé dans les années 80 à l’Afrique du Sud par des multinationales engagées fut un facteur clé de la chute, sans effusion de sang, du régime d’apartheid. Ces entreprises avaient compris qu’en soutenant l’économie sud-africaine, elles contribuaient au maintien d’un statu quo injuste.
Ceux qui continuent de faire affaire avec Israël, et qui contribuent ainsi à nourrir un sentiment de « normalité » à la société israélienne, rendent un mauvais service aux peuples d’Israël et de la Palestine. Ils contribuent au maintien d’un statu quo profondément injuste. Ceux qui contribuent à l’isolement temporaire d’Israël disent que les Israéliens et les Palestiniens ont tous autant droit à la dignité et à la paix....
...Il devient de plus en plus clair que les politiciens et les diplomates sont incapables de trouver des réponses, et que la responsabilité de négocier une solution durable à la crise en Terre Sainte repose sur la société civile et sur les peuples d’Israël et de Palestine eux-mêmes...
...L’Etat d’Israël agit comme s’il n’y avait pas de lendemain. Ses habitants ne connaîtront pas l’existence calme et sécuritaire à laquelle ils aspirent, et à laquelle ils ont droit, tant que leurs dirigeants perpétueront les conditions qui font perdurer le conflit.
J’ai condamné ceux qui en Palestine sont responsables de tirs de missiles et de roquettes sur Israël. Ils attisent les flammes de la haine. Je suis opposé à toute forme de violence. Mais soyons clairs, le peuple de Palestine a tous les droits de lutter pour sa dignité et sa liberté. Cette lutte est soutenue par beaucoup de gens dans le monde entier...
...Les missiles, les bombes et les invectives brutales ne sont pas la solution. Il n’y a pas de solution militaire.
La solution viendra plus probablement des outils non violents que nous avons développés en Afrique du Sud dans les années 80 afin de persuader le gouvernement sud africain de la nécessité de changer sa politique. La raison pour laquelle ces outils - boycott, sanctions et retraits des investissements - se sont finalement avérés efficaces, est qu’ils bénéficiaient d’une masse critique de soutien, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Le même type de soutien envers la Palestine dont nous avons été témoins de par le monde durant ces dernières semaines.
Ma prière au peuple d’Israël est qu’au-delà du moment, qu’au-delà de la colère d’être perpétuellement assiégé, qu’il conçoive un monde dans lequel Israël et la Palestine coexistent - un monde dans lequel règnent la dignité et le respect mutuels.
Cela demande un changement de paradigme. Un changement qui reconnaisse qu’une tentative de maintenir le statu-quo revient à condamner les générations suivantes à la violence et l’insécurité. Un changement qui arrête de considérer une critique légitime de la politique de l’Etat comme une attaque contre le Judaïsme. Un changement qui commence à l’intérieur et se propage à travers les communautés, les nations et les régions- à la diaspora qui s’étend à travers le monde que nous partageons. Le seul monde que nous partageons !...
… Chercher à libérer le peuple de Palestine des humiliations et des persécutions que lui inflige la politique d’Israël est une cause noble et juste. C’est une cause que le peuple d’Israël se doit de soutenir.
Nelson Mandela a dit que les Sud Africains ne se sentiraient pas complètement libres tant que les Palestiniens ne seraient pas libres.Il aurait pu ajouter que la libération de la Palestine serait également la libération d’Israël.

Michel Sabbah, ancien patriarche latin de Jérusalem, (interview de 2010 au journal La vie)

Quelle est la situation des chrétiens de Palestine ?
Elle est la même que pour tous les Arabes de Palestine. Chrétiens ou musulmans, nous faisons partie d’un même peuple, d’une même culture, d’une même histoire. Un peuple qui est en conflit avec un autre peuple. Un peuple occupé militairement qui n’a pas besoin de compassion, mais de justice. Dans un contexte politique très tendu, nous essayons de faire face au même défi. Qu’est-ce qu’être chrétien ? C’est être envoyé à une société, à un monde que nous n’avons pas choisi parce qu’il nous est donné. Notre vocation est donc d’être chrétien dans une société arabe et majoritairement musulmane. C’est une expérience que nous connaissons bien, nous avons plusieurs siècles d’histoire commune derrière nous.

Pourtant, aujourd’hui, on parle de persécutions antichrétiennes…
Des incidents individuels entre musulmans et chrétiens peuvent parfois prendre une dimension communautaire. Dans ce cas, il existe des médiateurs, des familles reconnues pour leur sagesse et leur autorité, capables de régler les conflits. Mais, je peux en témoigner, en Palestine, cela n’est jamais allé plus loin. Aucun massacre, aucun attentat contre les églises, aucune persécution ouvertement antichrétienne. Même à Gaza, les chrétiens sont protégés par le Hamas, souvent présenté comme une organisation terroriste.

Est-ce la même chose en Irak ?
Non, là-bas les chrétiens sont victimes de la violence et sont tués parce qu’ils sont chrétiens. Mais il s’agit de motivations politiques, non religieuses. Les extrémistes espèrent ainsi déstabiliser le pays. Beaucoup de sunnites ou de chiites sont tués pour les mêmes raisons. Il ne sert à rien d’accuser l’islam de tous les maux. Travailler à la paix et à la justice, en Irak comme ailleurs, est le meilleur moyen d’éviter un exode massif des chrétiens d’Orient. Un problème politique doit trouver une solution politique.

Que répondez-vous à ceux qui défendent l’idée d’un choc des civilisations ?
Il y a un choc, mais il n’est ni religieux, ni culturel. Il est politique. L’Occident traite l’Orient, et ceux qui y habitent, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, comme des mineurs. Tant qu’il y aura ce rapport de dominant à dominé, on ne sortira pas de la spirale de la violence. Les racines du terrorisme mondial sont là. L’Orient n’est pas libre de son destin, il est soumis à la domination occidentale. Le problème, ce n’est pas l’islam, c’est la confrontation entre l’Orient et l’Occident. Le colonialisme historique a cédé la place à un autre colonialisme, plus larvé, mais non moins réel.

Vous n’avez donc pas peur de l’expansion de l’islam ?
C’est un fantasme alimenté par ceux qui ne comprennent pas l’Orient, en général, et l’islam, en particulier. Tant que les Palestiniens se sentiront opprimés, tous les musulmans du monde se sentiront solidaires avec eux et pourront causer des perturbations à l’intérieur des sociétés où ils vivent. Il faut mettre fin à ce rapport du fort au faible entre l’Occident et le monde musulman et mener des actions d’éducation à la citoyenneté, au respect de l’autre. Développons une culture de coexistence active, apprenons à nous connaître, à vivre et à agir ensemble.