Nous avons eu l’occasion dans nos colonnes de nous interroger sur les interventions armées occidentales en Libye et au Mali.

Mais l’Afrique connaît hélas bien d’autres violences dont on parle peu , si ce n’est à l’occasion de prises d’otages, de l’assassinat de journalistes. Nous avons décidé aujourd’hui d’apporter quelques éclairages pour inciter à la réflexion

« RENDEZ-NOUS LES CLEFS DU MALI »

Nous donnons ci dessous, avec nos sous titres, des extraits d’un article d’Aminata Traoré, paru le 5 mai 2013 sur le site « http://www.afrik.com/lemaliestarendreauxmaliens».

Femme politique et écrivain malienne, Ministre de la Culture du Mali de 1997 à 2000, elle venait de se voir refuser l’accès au territoire français.

Interdite d’accès à l’espace Schengen à la demande de la France « La militarisation comme réponse à l’échec du modèle néolibéral dans mon pays est le choix que je conteste. Interdite de séjour dans les pays de l’espace Schengen, je regarde avec admiration et respect, la mobilisation et la détermination des peuples d’Europe à lutter contre le même système qui en toute quiétude nous broie, ici en Afrique.

  • ...C’est le 12 avril au moment de me rendre à Berlin...que j’ai appris que j’étais devenue persona non grata en Europe à la demande de la France... Je remercie tous ceux qui m’ont témoigné leur solidarité et rappelle ici le sens de mon combat, pour ceux qui considèrent que la France a le droit de porter atteinte à ma liberté de circulation en raison de mon désaccord avec Paris lorsqu’il ne pratique que la politique de ses intérêts. »

Les vraies raisons de la guerre au Mali

« Qui peut me reprocher ce que les auteurs du rapport d’information au sénat français disent si clairement en ces termes « la France ne peut se désintéresser de l’Afrique qui est, depuis des décennies, sa profondeur stratégique, qui sera demain, plus peuplée que l’Inde et la Chine,...qui recèle la plupart des ressources naturelles, désormais raréfiées... »

Les enjeux de l’intervention militaire en cours sont :

  • économiques (l’uranium, donc le nucléaire et l’indépendance énergétique),
  • sécuritaires (les menaces d’attentats terroristes contre les intérêts des multinationales notamment AREVA, les prises d’otages, le grand banditisme, notamment le narcotrafic et les ventes d’armes), géopolitiques (notamment la concurrence chinoise) et migratoires.

Les ravages de la mondialisation néolibérale

Le Mali ne souffre pas d’une crise humanitaire et sécuritaire au nord du fait de la rébellion, et de l’islam radical et d’une crise politique et institutionnelle au sud en raison du coup d’état du 22 mars 2012. Cette approche réductrice est la première et véritable entrave à la paix et à la reconstruction nationale. Nous avons surtout assisté à l’effondrement d’un capitalisme malien prétendument gagnant au coût social et humain fort élevé.

Ajustement structurel, chômage endémique, pauvreté et extrême pauvreté, sont notre lot depuis les années 80. La France et les autres pays européens ont juste une trentaine d’années de retard sur le Mali et ses frères d’infortune d’Afrique, soumis depuis plus de trois décennies à la médecine de cheval du Fond Monétaire International (FMI) et de la Banque Mondiale...

S’attaquer aux vrais problèmes

Opération Serval, Mission Internationale de Soutien au Mali... la défense de notre pays avant d’être militaire est d’abord un défi intellectuel,moral et politique....Que les dirigeants africains qui ont intériorisé le discours mensonger sur l’inéluctabilité de cette guerre afin d’en finir avec le péril djihadiste ne s’y trompent pas : l’effet de contagion qu’ils redoutent tient moins à la mobilité des djihadistes qu’à la similitude des réalités économiques, sociales et politiques induites par le modèle néolibéral.
Si les chefs djihadistes viennent d’ailleurs, la majorité des combattants sont des jeunes maliens sans emplois, sans interlocuteurs, sans perspectives d’avenir. Les narcotrafiquants puisent, eux aussi, convoyeurs et revendeurs de drogue parmi la jeunesse désemparée.

...Rien n’empêche les centaines de milliers de jeunes Maliens, Nigériens, Tchadiens, Sénégalais, Mauritaniens et autres, qui viennent grossir le nombre de demandeurs d’emplois et de visas, de rejoindre le rang des djihadistes si les États et leurs partenaires techniques et financiers ne sont pas capables de remettre le modèle néolibéral en question.

Je plaide pour un élan de solidarité qui prenne le contrepied de la militarisation, nous restitue notre dignité, préserve la vie et les écosystèmes.

Tout irait dans le bon sens si les 15 000 soldats étaient des enseignants, des médecins, des ingénieurs et si les milliards d’euros, qui vont être dépensés, étaient destinés à ceux et celles qui en ont le plus besoin. Nos enfants n’auraient pas besoin d’aller se faire tuer en soldats mal payés, en narcotrafiquants ou en fous de Dieu...

LE MALI : quelques repères

Le Mali est un pays dont la superficie est de 1 242 000 km², presque 2 fois et demi celle de la France pour une population de 14,5 millions d’habitants en 2009. Au cœur de l’Afrique de l’Ouest, sans accès à la mer, il a une frontière de 7420 km avec 7 autres pays : Algérie, Mauritanie, Sénégal, Guinée, Côte d’Ivoire, Burkina-Faso, Niger.

Le Mali actuel est une création coloniale qui portait avant l’indépendance le nom de Soudan occidental. Il fait partie du Sahel, c’est-à-dire de la région au contact entre les peuples noirs et les Berbères du Sahara. Cette ancienne colonie française acquiert son indépendance le 22 septembre 1960 ;

Avec une économie encore essentiellement rurale, le Mali fait partie des 49 pays les moins avancés (PMA) en termes de développement socio-économique. De nombreuses ethnies cohabitent : les Bambaras, les Peuls, les Dogons, les Touaregs, les Toucouleurs sont parmi les plus connus. La langue officielle est le français qui n’est pratiquement pas parlé dans les zones rurales. Le bambara est la langue la plus employée.

Les deux tiers nord du pays, entièrement désertiques, appartiennent au Sahara méridional. C’est dans cette vaste région très peu peuplée que se déroule l’histoire récente du pays.

On peut retenir plusieurs causes aux guerres qui s’y déroulent.

Il y a d’abord la rébellion Touareg qui revendiquent un état. Le MNLA, le Mouvement national de libération de l’Azawad, organisation politique et militaire revendique l’indépendance de la région de Tombouctou, Kidal et Gao et le nord.
Dans ce pays musulman, il y une lutte entre deux visions de l’Islam. D’un côté un islam rigoriste, le wahabbisme du nom de ses inspirateurs saoudiens. De l’autre un islam tolérant, compatible avec la démocratie, tel celui prôné par Chérif Haïdira, un des leaders religieux les plus renommés du pays.

Plusieurs milices islamistes voulant établir la charia se partagent ce territoire désertique : Ansar Dine, Aqmi (Al-Qaeda au Maghreb islamique), Boko Haram, Ansaru ou le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest).
Au mois de janvier 2012 les Touaregs et les groupes islamistes radicaux se sont alliés pour conquérir le nord du pays. Ce qu’ils réussissent sans grandes difficultés. C’est pour répondre à la déroute de l’armée et à l’incapacité du président Amadou Toumani Touré à faire régner l’ordre, que le capitaine Sanogo réussit un coup d’État le 22 mars 2012. Est-ce un hasard si Sanago a été formé aux États-Unis de 2004 à 2010 ? Il cède cependant le pouvoir à un civil, Dioncounda Traoré, le 12 avril 2012.
Le 27 mai 2012, le MNLA et Ansar Dine annoncent qu’ils ont fusionné pour former un « Conseil transitoire de l’État islamique ». Et fin juin 2012, le MNLA n’est plus en position de force : il perd le contrôle total des territoires conquis, au profit de mouvements Salafistes tels que Ansar Dine, Aqmi ou le Mujao qui peuvent ainsi instaurer la charia dans la partie nord du pays.

Devant cette situation, les Français décident d’intervenir. C’est l’opération Serval déclenchée le 11 janvier 2013. Selon le Monde Diplomatique du 24 mai 2013, "sur le plan technique, l’opération militaire aura été — on le sait — un succès. Un succès en trois temps :

  • Les frappes aériennes, déclenchées le 11 janvier, depuis la lointaine ex-« métropole », envoient un premier signal à la fois militaire et politique ;
  • La traque des combattants djihadistes par les hélicoptères, puis par les commandos des forces spéciales s’ensuit ;
  • La « reconquête » et la stabilisation de l’ensemble du nord du Mali enfin, suivies d’un retrait partiel en bon ordre des militaires français."

D’autres forces sont intervenues au Mali : L’Union africaine et la CEDEAO (Communauté Économique Des États de l’Afrique de l’Ouest) et le Tchad."

Le calme revenu, les islamistes provisoirement neutralisés, des élections présidentielles sont organisées rapidement sous la pression de la France et des USA : "Pas d’élection, pas d’argent". Au deuxième tour, le 11 août 2013, c’est Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) qui l’emporte. (En 1999, IBK était devenu vice-président de l’Internationale socialiste).

Au-delà d’un soulagement des populations lorsque la déroute des islamistes a permis d’arrêter l’application de la charia, que peut-on prévoir ?

Le temps passant, la présence française ne passe plus aussi bien. La méfiance s’installe envers l’ancien colonisateur :

  • Selon certains la vraie raison de l’intervention française était qu’il fallait contrôler le nord du Mali pour que les islamistes ne puissent s’attaquer aux intérêts d’Areva au Niger. Il fallait sécuriser les approvisionnement en uranium.
  • Le sous-sol malien fait partie des plus riches du continent noir. Le Mali est aujourd’hui le troisième producteur d’or en Afrique après l’Afrique du Sud et le Ghana. Cela intéresse les pays riches.
  • Les pays qui sont intervenus en Lybie doivent endosser les conséquences qui ont été d’armer les factions sahéliennes les plus radicales, que ce soit les Touaregs qui étaient au service de Kadhafi ou les djihadistes.

Alors comment soutenir et accompagner les populations de ce pays ? La crise humanitaire est grande et ce ne sont pas les solutions militaires qui vont la résoudre. Les exemples de l’Afghanistan et de l’Irak nous le démontrent. Dans un rapport remis le 8 avril 2013 au Conseil de sécurité, l’ONU recense 292 000 déplacés dans le pays et 177 000 réfugiés, la plupart en Mauritanie, au Burkina Faso et au Niger. Au moins 77 % des Maliens vivent désormais sous le seuil de pauvreté, et la crise alimentaire menace 4 600 000 personnes. En France ce n’est pas la préoccupation.

Les islamistes ont été dispersés mais ils ont le temps pour eux. Et ils vont sûrement se réorganiser pour mener des actions terroristes contre tous ceux qui s’opposent à eux.

Et les Touaregs ? Va-t-on les entendre et comment ? Et eux, que vont-ils accepter ? Dans les zones minières les populations, dont les Touaregs, subissent la pollution et n’en tirent aucun profit.

Le problème se complique encore quand on sait que dans les vastes étendues désertiques et dans le massif des Ifoghas au nord-est du Mali, les trafics en tout genre se développent : armes, drogues et principalement la cocaïne, .....

Et que dire de l’accaparement des terres : 100 000 ha avaient été concédés à Kadhafi dans la zone potentiellement la plus riche, une zone irrigable.

À noter que le 26 octobre 2013, une initiative "Afrique de l’Ouest" pour mettre fin à la pauvreté et à la sous-alimentation paysannes et urbaines et pour rétablir la stabilité politique et la sécurité militaire en Afrique de l’Ouest a été lancée par diverses personnalités. Cet appel faisant suite à un article paru sur le site du journal Le Monde le 17 mai 2013, qui était intitulé : "Il faut sauver la paysannerie africaine."

Fanch Hénaff
Article paru dans l’Orange Bleue, numéro 88