C’est sous ce titre et sur ce thème que le 29 septembre dernier, dans le cadre de sa campagne pour la signature par la France du traité d’interdiction des armes nucléaires voté à l’ONU, le CIAN29 tenait à Brest un colloque. Ce colloque, dans l’organisation duquel l’Université Européenne de la Paix s’est fortement investi, a été suivi tout au long de la journée par une cinquantaine de militant-es de la paix.

Sont ici repris les points essentiels des interventions de nos trois invités* (Jacques Fath ancien responsable des relations nationales au PCF, Paul Quilès, ancien ministre de la Défense et président d’Initiative pour le Désarmement Nucléaire et Bernard Ravenel ancien président de l’association France Palestine solidarité) et des échanges auxquels elles ont donné lieu, ainsi que du débat autour de la table ronde qui cloturait les travaux du colloque.

* une présentation plus complète de leurs interventions est consultable dans nos précédents articles sur le site.

Bernard RAVENEL

L’arme nucléaire menace directement l’espèce humaine et la vie sur terre. Pour la première fois, l’humanité devient l’arbitre de sa propre survie. Traditionnellement, c’était « Dieu », mais maintenant le « salut » dépend de nous, du pouvoir politique.
Paradoxalement, la dénucléarisation est à contre-courant des préoccupations actuelles de l’opinion publique. L’omerta des médias et le consensus des politiques y sont pour beaucoup. Il faut des lanceurs d’alerte tels que les mouvements pacifistes pour éveiller les consciences.
Le retour actuel du religieux est, en partie, la conséquence de la disparition de l’idéal socialiste universel, porteur de l’espoir d’une vie meilleure. Depuis ses origines, le christianisme dispense un message de paix, mais dès qu’il est au pouvoir il justifie aussi la notion de « guerre juste », de « guerre sainte ». Le risque nucléaire est l’ultime étape de l’idéologie de la guerre.
Le Moyen-Orient, et particulièrement Jérusalem, est une région où le risque de conflit mondial est permanent et où le danger de guerre nucléaire est majeur. Très tôt, Israël s’est doté de l’arme nucléaire grâce à la coopération militaire et scientifique de la France. Israël et les Etats Unis d’Amérique mentent sur le nucléaire iranien. En fait, l’Iran a signé le TNP (traité de non-prolifération du nucléaire militaire) et se contenterait de l’arme de dissuasion nucléaire virtuelle (« état de seuil »). Le dialogue USA-Iran, amorcé par Barak Obama en 2009 vient d’être remis en cause par Donald Trump en se retirant de l’accord de Vienne. Parallèlement, ce dernier œuvre pour casser les accords économiques entre l’Iran et l’Europe.
De son côté, le gouvernement de Netanyaou est dans une logique de confrontation religieuse. Les conflits au Moyen-Orient ne prendront fin qu’avec la résolution du statut de la Palestine.

Le Moyen-Orient est une zone à dénucléariser en priorité

Jacques FATH

L’intervenant consacre son exposé à une vision alternative dans la perpective d’une élimination des armes nucléaires. Il insiste sur l’importance de l’existence du TIAN (Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires ) établi sous l’égide de l’ONU et adopté par 122 Etats, la France et les grandes puissances nucléaires ayant refusé de s’y associer. Malgré cela l’existence de ce traité va contribuer à déligitimer la « Dissuasion » qui constitue l’argument essentiel des partisans de la force nucléaire.

L’adoption du TIAN est un acte d’une portée politique majeure qui peut aider aux mobilisations populaires, à la constitution de rapports de force politiques et sociaux susceptibles de permettre, enfin, des avancées réelles de désarmement. L’attribution du prix Nobel à l’ICAN, la position du Vatican sur la dissuasion, la qualifiant de « fausse sécurité » sont autant de points positifs vers un changement de mentalité. Il est faux de considérer comme l’avance les Non-Signataires que ce traité fait doublon avec le TNP (Traité de Non Prolifération), ce dernier n’ayant jamais été respecté par les puissances en possession de l’armes nucléaire.En effet tous les Etats dotés de ces armes , renforcent et modernisent leur arsenal. Sous l’argument fallacieux d’assurer notre sécurité, la France s’est donné pour objectif de doubler le budget de ce secteur d’ici 2025 , de 3,4 à 6 milliards d’euros annuels.

Les armes nucléaires n’ont jamais été, et ne seront jamais, des moyens de sécurité mais seulement des instruments d’affirmation de puissance.

Dans un monde où le cynisme, la violence et la guerre dominent outrageusement, il faut redonner de la créativité, de l’efficacité et du prestige au désarmement et à la lutte pour la Paix. Trois orientations s’imposent :

  • Soutien du processus engagé avec le Traité d’interdiction, en agissant pour que la France le signe et le ratifie.
  • Oeuvrer pour une politique de paix sur le plan international, ce qui exige une sortie rapide de l’OTAN et la dissolution de cet organisation.
  • Enfin le multilatéralisme. Le désarmement nucléaire et le processus d’interdiction vers l’élimination impliquent, dans la durée,un engagement à une échelle internationale très large.

A ce sujet , toujours en débat, l’UEP nuance ce propos : mettant en avant la position de la France au Conseil de Sécurité, l’annonce de son renoncement unilatéral à l’arme nucléaire aurait un retentissement international considérable. Elle ferait de la France un moteur des négociations internationales pour la paix, le désarmement et la coopération sur d’autres bases que celles du mépris et de la menace.

Paul QUILES

Enfumage !… Expression imagée employée à plusieurs reprises par le conférencier, qui illustre bien ce à quoi nous soumet le gouvernement lorsque l’on veut aborder la question du nucléaire militaire. Comme l’auteur l’a développé dans son dernier ouvrage « L’illusion nucléaire » les tenants du pouvoir s’escriment à appliquer l’ « omerta » pour tout ce qui concerne ce sujet, l’amenant ainsi à considérer que comme dans la religion où l’on ne peut mettre en question l’existence de dieu, celle de l’utilité de l’arme nucléaire se rapproche plus d’une question de foi que de stratégie lorsque l’on veut en débattre.

Près d’un demi-siècle après la mort du Général de Gaulle , et malgré la fin de la guerre froide le système est verrouillé sans que personne ne s’en émeuve.

Subsiste donc le danger de l’existence de l’arme atomique, malgré son inutilité : quelle protection aujourd’hui contre cette nouvelle forme de guerre que constitue le terrorisme ?… Le coût exorbitant de son entretien ; doublement des crédit accordés, d’ici 2025, et enfin menace permanente d’un déclenchement intempestif dû à la folie des hommes. Par différentes anecdotes, Paul Quiles insiste à démonter l’imbécilité de l’argument de la dissuasion qui voudrait que la possession de l’arme soit l’épouvantail empêchant toute velléité d’agression de la part d’un ennemi potentiel. D’importants conflits se sont déroulés depuis 1945 ( Afghanistan, Vietnam ), heureusement jamais, les puissances possèdantes n’ont osé utililiser la force nucléaire, les conséquences seraient désastreuses, non seulement pour les secteurs visés, mais pour l’ensemble de la planète. En effet le nuage destructeur ne s’arrête pas aux frontières, mais en s’étendant largement contribue à créer ce que les scientifiques appelle « l’hiver nucléaire », étouffant toute vie végétale et animale.

L’arme atomique appartient au passé, la cyber-menace constitue le danger essentiel et se situe à un niveau aujourd’hui incontrôlable. « Le hacker ne signe pas.S’il détourne le système de communication d’un sous-marin que faites vous avec votre arme nucléaire ?… »

Question posée à ces Messieurs que l’on nomme grands, qui montre bien l’urgente nécessité du débat...

La table ronde

Les derniers échanges de la journée tendaient à apporter une réponse à la question : "A la pointe de Bretagne, comme partout ailleurs dans le pays, comment gagner la bataille de l’opinion ?"

En effet, si plusieurs sondages récents laissent penser que nos compatriotes sont majoritairement favorables au désarmement nucléaire, le renoncement par notre pays à sa force de dissuasion est loin d’être acquis. Ainsi, selon le dernier sondage en date (IFOP juin 2018) s’ils sont à 76% favorable au désarmement nucléaire de notre pays, 44% approuvent malgré tout le renouvellement et la modernisation de notre arsenal atomique !

Même si le traité signé à l’ONU et le prix Nobel de la paix attribué à ICAN créent un contexte favorable, la bataille de l’opinion reste encore à gagner et particulièrement dans la région brestoise où le nucléaire militaire est générateur de beaucoup d’emplois.

Il faut vaincre les résistances de ceux qui légitimement craignent pour leur emploi en engageant la reflexion sur la reconversion de l’île longue. Et pourquoi pas commencer à s’habituer à l’après nucléaire en lançant auprès des étudiants du domaine un concours d’idées sur ce que pourrait être, une fois libérée de son fardeau nucléaire, le développement et l’aménagement de la rade ?

De façon plus générale, c’est auprès des jeunes générations, les plus réceptives au changement, qu’il faut en priorité mener la bataille de l’opinion. Développer le travail sur la culture de paix avec les établissements scolaires, le prolonger pour arriver à la question que pose l’entretien, l’utilisation ou la simple menace d’utilisation d’une arme de destruction massive telle que la bombe.

Orange Bleue, numéro 111