Dans le prolongement de la réunion publique organisée par l’Université Européenne de la Paix au printemps 2016 sur le thème de l’avenir industriel de Brest, un groupe d’étude associant l’UEP et le centre de recherche Amure de l’UBO s’est constitué. Le 12 décembre dernier il organisait à Brest Business School une réunion publique sur le thème : » Une filière de déconstruction navale à Brest ? ».

Représentants d’entreprises portuaires, de services de la Marine Nationale, d’associations de défense de l’environnement, de riverains, de syndicats, et aussi experts maritimes, élus nationaux et locaux, membres du conseil de développement, universitaires et étudiants, au total une cinquantaine de personnes concernées par le domaine maritime et ses activités ont assisté à cette réunion-débat.

Après le propos introductif de Thierry Sauvin sur l’urgence industrielle, et la présentation par les dirigeants des Recycleurs Bretons de l’expérience de déconstruction du Captain Tsarev qu’ils viennent de mener à son terme, un échange s’établit avec le public.
Comme cela ressortait déjà d’une enquète menée dans la rue par les étudiants de BBS, la salle aussi s’exprime largement en faveur de l’installation à Brest d’une filière de déconstruction.

Le démantèlement et le recyclage des navires : une filière industrielle d’avenir

Face à un monde fini, aux ressources limitées, si l’on veut continuer à produire, le recyclage des matières devient un impératif majeur. Déconstruire de manière à récupérer le maximum de matières réutilisables, tout en préservant l’environnement et la santé de ceux qui s’y emploient, devient un maillon indispensable de la chaine de valeur de l’économie circulaire dans laquelle nos sociétés seront de plus en plus conduites à s’engager.
L’obligation imposée par l’Union Européenne de déconstruire les bateaux battant pavillon d’un pays de l’Union dans un chantier européen agréé ouvre des opportunités nouvelles.
Certes les emplois directs escomptés ne sont pas nombreux – sur la base d’un bateau par mois, les Recycleurs bretons visent un effectif de 50 salariés d’ici à cinq ans – mais ils génèrent beaucoup d’emplois indirects de transport et de services portuaires et surtout ils sont non délocalisables.

Brest a des atouts pour accueillir cette filière

Ce sont d’abord des compétences, un savoir-faire dans l’industrie navale, des infrastructures navales adaptées, une localisation à proximité du rail d’Ouessant. C’est aussi la présence sur place du marché potentiel de sa base navale. Et surtout, via Les recycleurs Bretons, Brest est l’un des rares ports français (avec Bordeaux et Le Havre) agréé par l’Europe pour déconstruire ses bateaux. Un agrément qui permet aujourd’hui à l’industriel brestois de décrocher des marchés de déconstruction au delà de sa base brestoise. A ce propos, l’arrivée récente à Brest, en provenance de Boulogne, du Carib Palm pour y être déconstruit est une grande première. Les seules opérations de déconstruction réalisées jusqu’à présent à Brest étant celles de bateaux immobilisés pour diverses raisons dans le port (Winner, Captain Tsarev).

Mais la partie n’est pas encore gagnée

Malgré une réglementation plus favorable, la captation de navires européens peut être plus faible que prévue. D’une part il y a le risque de changement de pavillon pour éviter à l’armateur les coûts plus élevés d’une déconstruction dans un chantier européen et, d’autre part, il y a la menace que la liste des déconstructeurs agréés par l’Union Européenne (18 actuellement) ne s’ouvre à des chantiers extérieurs à l’Europe.
Au plan national et local, du fait des exigences financières qu’elle impose pour accéder à ses appel d’offres, il y a en outre la difficulté pour l’opérateur brestois d’accéder aux marchés de déconstruction des bateaux de la Marine Nationale.

Il y a aussi à vaincre les réticences des riverains du port sensibles aux nuisances générées par ce type d’activité, et de ceux qui ne voient d’avenir pour Brest que dans la construction neuve.
Surtout il reste à convaincre les autorités de la ville et du port que l’on sait frileuses sur ce dossier.

Retenons pour conclure, ces quelques mots d’un intervenant dans la salle qui traduisent assez bien le sentiment général : » La déconstruction navale à Brest, c’est une évidence. Il faut que les brestois se mobilisent pour obtenir de la Marine que les bateaux basés à Brest soient déconstruits sur place et pour que nos politiques s’emparent pleinement de ce dossier »

Roland de Penanros

Il y a urgence industrielle !
Contrairement aux idées reçues comme quoi nous nous acheminons vers une économie de services, autrement dit post industrielle, on ne peut s’affranchir de la production de richesses matérielles. Le savoir, le savoir-faire et le faire ne se juxtaposent pas. Ils sont indivisibles. Ne plus faire se traduirait par des pertes de savoir-faire et de savoir ce qui risquerait de dévitaliser le territoire. Il est donc urgent de renforcer la base industrielle du pays de Brest en valorisant les compétences existantes nées le plus souvent au sein de l’industrie de la défense. S’il est reconnu que les compétences présentes sur le territoire sont nombreuses, variées et de haut niveau, les projets de diversification, portés souvent par le milieu associatif, peinent à se réaliser.
Pour quelles raisons les acteurs locaux sont-ils réticents ou si peu impliqués dans ces projets de diversification des activités tels que la déconstruction des coques de navires ou la conception et la fabrication d’éoliennes et d’hydroliennes ?
La raison principale tient au poids de l’industrie de la défense. Si celui-ci n’est plus ce qu’il était, il demeure encore bien présent dans la façon de penser l’avenir du territoire. On a souvent tendance à oublier que l’entreprise est un puissant marqueur de territoire. En fait, des effets d’enfermement dans une trajectoire de développement empêchent toute bifurcation sur le court et le moyen terme. A ce propos, on peut identifier plusieurs empreintes territoriales de l’industrie de la défense. On en dénombre au moins quatre :

  • une empreinte industrielle via les infrastructures présentes sur le territoire (spécificité de site : équipements portuaires, formes de radoub,…).
  • une empreinte organisationnelle qui renvoie à l’organisation verticalisée et très hiérarchisée des industries de la défense, une organisation qui limite toute prise de décision individuelle et audacieuse pouvant freiner la dynamique entrepreneuriale.
  • une empreinte socioculturelle, autrement dit cognitive, qui empêche les acteurs d’imaginer d’autres trajectoires de développement que celle qu’ils ont connue.
  • une empreinte politique suite à l’encastrement de l’économique et du politique (présence d’anciens salariés de l’industrie de la défense au sein des collectivités territoriales).
    Par-delà ces limites, une entreprise privée, Les recycleurs bretons, s’est engagée dans l’activité de déconstruction des coques de navires. Si le démantèlement du cargo « Le Captain Tsarev », s’est bien déroulé, la pérennité de cette activité industrielle qui, rappelons-le, implique d’autres acteurs (entreprises industrielles et prestataires de services), nécessite la constitution d’une véritable filière de déconstruction sur le pays de Brest.

Thierry Sauvin